71

 

Le pousseur dépassa la vigie de la passe Sud marquant la limite des eaux boueuses du Mississippi et déboucha en haute mer.

« Plus que 30 milles avant les grands fonds », annonça le capitaine Pujon.

Lee Tong acquiesça d’un signe de tête tout en examinant l’avion météo qui décrivait des cercles au-dessus d’eux. Il prit ses jumelles et scruta l’horizon. Le seul bâtiment en vue était le faux navire océanographique à environ 8 milles par bâbord devant.

« Nous avons gagné, affirma-t-il alors.

— Ils peuvent encore nous envoyer des chasseurs ou des bombardiers.

— Et risquer de couler la barge ? Non, je ne crois pas. Ils veulent le vice-président vivant.

— Comment peuvent-ils savoir qu’il est à bord ?

— Ils ne le savent pas. Du moins pas avec certitude. Raison supplémentaire pour ne pas attaquer ce qui n’est peut-être qu’un bateau inoffensif poussant une barge d’ordures vers la mer. »

Un marin entra dans la timonerie.

« Capitaine, fit-il en tendant le bras. Appareil approchant par l’arrière. »

Lee Tong braqua ses jumelles dans la direction indiquée. Un hélicoptère de l’U.S. Navy fonçait sur eux, volant au ras des vagues. Il fronça les sourcils.

« Mettez les hommes en état d’alerte », lança-t-il.

Le marin salua et s’empressa d’aller exécuter les ordres.

« Un hélicoptère de combat ? demanda Pujon d’une voix anxieuse. Il pourrait nous réduire en pièces sans même effleurer la barge.

— Heureusement non. C’est un transport de troupes. Probablement avec des commandos de la marine à bord. Ils ont sans doute l’intention de nous prendre d’assaut. »

Le lieutenant Homer Dodds se pencha à l’extérieur de l’hélico. Ces deux bateaux ont l’air tout à fait anodins, se disait-il tandis qu’un marin sortait de la timonerie en agitant la main en guise de salut. Rien de suspect. Pas d’armement en vue.

« Vous avez établi le contact radio ? demanda-t-il dans son micro.

— Nous avons essayé sur toutes les fréquences utilisées, mais ils ne répondent pas, l’informa le pilote depuis le cockpit.

— Okay, amenez-vous au-dessus de la barge.

— Bien reçu. »

Dodds empoigna un mégaphone.

« Ohé, du pousseur, cria-t-il. Ici l’U.S. Navy. Réduisez la vitesse et stoppez les machines. Nous montons à bord. »

Sur le pont, le marin mit ses mains à ses oreilles en secouant la tête pour indiquer qu’il n’entendait pas en raison du bruit des turbines. Dodds répéta son message et l’homme fit signe qu’il avait compris. Le lieutenant était maintenant assez près pour constater qu’il s’agissait d’un Asiatique.

Le pousseur et la barge ralentirent, roulant sous la houle. Le pilote de l’hélicoptère plaça son appareil au-dessus de la barge tandis que les commandos se préparaient à sauter.

Dodds se retourna pour examiner ses hommes. C’étaient des soldats endurcis et très entraînés, les seuls parmi tous ceux qu’il avait eus sous ses ordres à aimer vraiment le combat. Ils étaient impatients, les armes prêtes à entrer en action, parés à toute éventualité. Mais ils ne s’attendaient sans doute pas à être ainsi totalement pris au dépourvu.

L’appareil n’était plus qu’à trois mètres de son objectif quand des écoutilles du pousseur jaillirent une vingtaine de matelots armés de fusils de guerre Steyr-Mannlicher AUG.

Une pluie de balles s’abattit sur l’hélicoptère qui s’emplit aussitôt de fumée et des cris des blessés. Dodds et ses hommes réagirent sauvagement, fauchant sans pitié ceux qui avaient le malheur de se trouver à découvert. Mais à l’intérieur de l’appareil, c’était un véritable carnage. Ils étaient coincés, le dos au mur.

Le fracas des armes couvrait le rugissement des turbines. Le pilote avait été touché par la première rafale qui avait déchiqueté le fuselage, projetant des débris de métal et de plexiglas à travers tout le cockpit. L’hélicoptère se cabra et se mit à tournoyer follement sur son axe. Le copilote s’empara des commandes mais elles ne répondaient plus.

Les chasseurs de l’U.S. Air Force arrivèrent sur les lieux. Le chef d’escadrille donna rapidement ses instructions puis piqua vers l’arrière du pousseur pour tenter de détourner le feu de l’hélicoptère agonisant. Mais sa manœuvre de diversion échoua. Les hommes de Lee Tong ignorèrent les avions. Les pilotes, contraints de respecter l’ordre de ne pas attaquer, survolèrent le bateau en rase-mottes, l’un des appareils lui arrachant même son antenne radar au passage.

L’hélicoptère, avec sa macabre cargaison de morts et de mourants, vacilla puis, incapable de poursuivre plus longtemps sa lutte désespérée contre la force de gravité, alla s’abîmer dans les flots à côté de la barge.

 

Sandecker et Metcalf, impuissants, contemplaient les images du drame transmises par la caméra vidéo de l’avion météo. La salle de Guerre était devenue brusquement silencieuse tandis que chacun scrutait l’écran dans l’espoir d’apercevoir des survivants. Ils ne comptèrent que six têtes surnageant à la surface de la mer d’un bleu d’azur.

« Fin de la partie », annonça le général d’une voix à donner le frisson.

Sandecker ne réagit pas. Il finit par détourner le regard et aller s’asseoir lourdement dans un fauteuil devant la longue table de conférence, toute humeur combative envolée.

Metcalf écouta sans broncher les rapports des pilotes relayés par les haut-parleurs. Ils manifestaient leur colère à ne pas pouvoir intervenir. Ne sachant pas qui se trouvait à bord de la barge, ils ne se gênaient pas pour critiquer violemment le haut commandement sans se douter que leurs paroles étaient entendues et enregistrées au Pentagone à plusieurs milliers de kilomètres de là.

Une ébauche de sourire étira les lèvres de l’amiral. Il ne pouvait s’empêcher de les comprendre :

Une voix jeune s’éleva soudain :

« Ici le lieutenant Grant. Je peux vous appeler directement, mon général ?

— Oui, mon petit, répondit doucement Metcalf. Allez-y.

— Il y a deux bateaux qui approchent de la zone. Je vous envoie les images du premier. »

Les regards se reportèrent sur l’écran avec une lueur d’espoir. L’image était petite et floue. Puis le cameraman de l’avion météo fit un gros plan sur un bâtiment à la coque rouge.

« De là-haut, il me semble qu’il s’agit d’un navire hydrographique », annonça Grant.

Une rafale de vent déploya le drapeau attaché au mât de pavillon.

« Un anglais, constata Metcalf avec accablement. Nous ne pouvons pas demander à des étrangers de risquer leur vie pour nous.

— Vous avez raison. Et puis je n’ai jamais vu des océanographes manier le fusil automatique. »

Le général se pencha au-dessus du micro :

« Grant ?

— Contactez le bâtiment anglais et demandez-leur de recueillir les survivants de l’hélicoptère. »

L’image se brouilla et disparut avant que Grant n’eût eu le temps de répondre.

« Nous n’avons plus rien, Grant.

— Un instant, mon général. Mon cameraman me signale que le bloc de piles est à plat. Il est en train de le changer.

— Quelle est la situation du pousseur ?

— Il est reparti avec la barge. Un peu plus lentement qu’avant. »

Metcalf se tourna vers Sandecker :

« On dirait que la chance n’est pas de notre côté, Jim.

— En effet, Clayton. (Il hésita un instant.) A moins que l’autre bâtiment ne soit un aviso des garde-côtes.

— Grant ? rugit Metcalf.

— C’est presque fini, mon général.

— Peu importe. Ce deuxième bateau dont vous avez parlé, de quel type est-il ? Navy ou garde-côte ?

— Ni l’un ni l’autre. C’est un bâtiment civil. »

Metcalf se voûta, gagné par le découragement. Sandecker empoigna alors le micro :

« Grant, ici l’amiral James Sandecker. Vous pouvez me le décrire ?

— Ce n’est pas un bateau qu’on s’attend à voir sur l’océan.

— Quelle est sa nationalité ?

— Sa nationalité ?

— Son pavillon, mon vieux. Il bat quel pavillon ?

— Vous n’allez pas me croire.

— Accouchez, bon Dieu !

— Eh bien, amiral, je suis né et j’ai grandi dans le nord mais j’ai suffisamment feuilleté de livres d’histoire pour savoir reconnaître un drapeau sudiste quand j’en vois un. »

 

Panique à la Maison-Blanche
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